Il paraîtrait qu’il y aurait un âge pour relire et il semblerait que j’y sois parvenu car, de plus en plus, j’ai envie de relire. Se relire, c’est se relier, ai-je écrit dans je ne sais plus quel livre (peut-être bien dans les Singes rouges) mais relire tout court, relire autrui, c’est peut-être aussi se relier.
Quand j’ai décidé de relire Jacques le Fataliste (que je n’avais pas relu depuis le lycée, je crois bien), il me semble que je cherchais juste à vérifier que mon enthousiasme de l’époque restait le même aujourd’hui. C’est le cas ; je m’en doutais. Mais est-ce par hasard si mon choix s’est porté sur Jacques et non sur un autre engouement de jeunesse ? Mon immédiate jubilation a su me dire quoi. Diderot joue à malmener le lecteur en moi, ce lecteur habitué au confort que trop souvent la lecture lui apporte. Il ne faut pas caresser le lecteur. Il faut le faire s’envoler comme le pigeon devant la course du petit enfant. Il doit se sentir en faute, le lecteur. Il doit se sentir perdu. Il doit se sentir en danger. C’est ce vers quoi je voudrais tendre, avec mon stylo. Alors raconter ceci plutôt que cela, sachant que de toute façon ça n’est jamais vraiment possible, l’auteur ne parviendra pas à raconter ce qu’il veut raconter, avec la meilleure volonté du monde, avec ou sans son stylo, alors autant faire mine de vouloir raconter les amours de Jacques (comme d’autres font mine d’organiser un dîner où l’on pourra goûter au charme discret de la bourgeoisie), quelle importance ? Autant faire mine de raconter, on aura toujours un tiroir à ouvrir pour raconter autre chose qu’on ne racontera pas vraiment, ou peut-être que si. Peut-être qu’il tombera juste, qu’il écrira juste ce que le roman doit être.
Je crois que c’est pour ça que j’ai relu Jacques aujourd’hui, et non pas il y a deux ou trois ans : il me dit ce que je fais, avec ou sans mon stylo. Jacques et son maître, c’est Diderot et son lecteur. Il l’aime et il s’en joue.
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