Je relaie l’édito de Christophe Hardy, président de la SGDL, à propos de l’impact du marché de l’occasion sur la survie des auteurs et des éditeurs.
Avant
que l’« occasion » ne cannibalise |
Les lecteurs savent-ils que, sur les livres d’occasion, les auteurs ne touchent rien ? RIEN. En quatre lettres. Les droits d’auteur ont disparu. On dit savamment qu’il y a « épuisement du droit » parce que l’occasion procède de la revente d’un livre neuf qui, lui, a déjà généré des droits. Passons sur le fait qu’une œuvre de l’esprit, votre création, puisse continuer à générer des gains pour des revendeurs alors qu’elle n’en produit plus pour vous, le créateur. C’est un débat juridique qui dépasse le cadre de ma réflexion. Observons plutôt l’évolution récente d’un marché en pleine expansion et en pleine métamorphose. Elle est alarmante. Une étude publiée en 2024 par le ministère de la Culture a montré qu’en 2022 un livre sur cinq était acheté d’occasion, que le chiffre d’affaires des revendeurs de livres d’occasion s’élevait à 350 millions d’euros (10 % du chiffres d’affaires du livre neuf) et qu’il connaît une croissance exponentielle (+49 % en cinq ans). Ce marché s’est par ailleurs profondément recomposé : il se concentre désormais autour de puissantes plates-formes, généralistes ou spécialisées (Amazon, Momox, Rakuten-Price minister, Ebay), au détriment de la revente entre particuliers et du réseau des bouquinistes, qui, lui, est en voie de disparition. Ces plates-formes, rappelons-le, ne participent pas à l’économie de la création. Mais manifestement elles profitent de celle-ci, et de plus en plus. D’ailleurs, sur la plupart d’entre elles, le livre n’est qu’un produit d’appel : on vous propose par exemple un ouvrage d’occasion à 1 euro en vous facturant une prestation (ouvrage + frais de livraison) à 4 ou 5 euros. La marge bénéficiaire est donc principalement réalisée sur la refacturation de services de livraison à domicile ou en points de retrait, dont les tarifs sont préalablement négociés « en gros » au tarif le plus faible auprès d'entreprises spécialisées. Par ailleurs, dans la chaîne du livre, il n’y a aucune chronologie des médias. Quand un livre neuf paraît, quelques semaines, voire quelques jours plus tard, il est disponible à des prix dérisoires sur des plates-formes de revente. Étant donné que celles-ci proposent livres neufs et livres d’occasion sur une même page, en accompagnant ces derniers de la mention « Comme neuf », on imagine bien que le choix des acheteurs va spontanément vers le « meilleur marché ». Dans le contexte général de précarisation des auteurs et d’une sur-publication alimentée par les grands groupes éditoriaux dont le modèle économique repose sur la circulation intensive des flux de nouveautés, les évolutions récentes du marché de l’occasion renvoient les auteurs, au-delà de l’épuisement de leurs droits, à leur épuisement tout court, confrontés qu’ils sont à des conditions de rémunération de plus en plus dures. L’idée de mettre à contribution des entreprises qui prospèrent sur une économie du livre qu’elles fragilisent, semble aujourd’hui indispensable. Tel est le sens de l'amendement qui vient d'être déposé par les députées Violette Spillebout, Aurore Bergé et neuf autres de leurs collègues parlementaires à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. Deux arguments sont parfois opposés à cette proposition. Le premier (populiste) est de dire que « taxer » l’occasion pénalisera ceux qui disposent de faibles revenus, notamment les plus jeunes. Or l’étude de 2024 montre que les trois-quarts des acheteurs de livres d’occasion ont entre 35 et 65 ans et que, parmi eux, les hauts revenus (les « CSP+ ») sont sur-représentés. Le second argument (écologique) avance le fait que la revente d’occasion, supposée vertueuse, permettrait au livre de vivre plus longtemps, éviterait le pilon et un gaspillage de papier. C’est s’aveugler sur le fonctionnement réel des circuits de distribution des grands opérateurs de l’occasion et leur impact en termes de développement durable : les livres d'occasion sont acheminés vers des plates-formes de tri, qui les réexpédient à l'unité au domicile de leurs clients, multipliant ainsi le transport routier et les opérations d'emballage. Comment ne pas supposer que le bilan carbone de ces grandes plates-formes est donc beaucoup plus dégradé que celui du réseau de distribution du livre neuf en librairies ? En prenant prétexte de l’un et/ou l’autre de ces pseudo-arguments, on peut choisir de ne rien faire. Pour nous auteurs, il est urgent d’agir, de fixer des règles parce que, dans cette affaire, il est question de notre survie en tant qu’acteurs indispensables de la création et de la diversité éditoriale, qui est l’une des fiertés de notre modèle culturel. Au printemps dernier, la ministre de la Culture a exprimé des réserves quant à l’idée de mettre à contribution les acteurs de la revente des livres d’occasion. Nous espérons que, forts du soutien d’une majorité d’élus, nous la convaincrons du bien-fondé d’une « contribution » des plus gros acteurs de ce marché au financement de la création, et de ses vertus redistributives pour compenser le préjudice économique que nous, auteurs de livres, subissons et risquons de subir de plus en plus violemment, ainsi que nos éditeurs. Christophe HARDY, président de la SGDL |
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