Bibliographie

Interviews

vendredi 17 mai 2024

court toujours (261)

Je ne vous vouvoie pas vraiment. C’est juste que je vous parle en entier. Si je ne parlais qu’à votre auriculaire, ou à ce poil de vos sourcils, ou même à votre vésicule, évidemment je les tutoierais.




jeudi 16 mai 2024

En lisant la Colonie migratoire, de Rudefoucauld

Difficile de parler de la Colonie migratoire, récit d’Alain Julien Rudefoucauld récemment paru aux éditions DO, sans en dire trop, vous comprendrez pourquoi en le lisant ; d’autant plus qu’en dire trop revient clairement à n’en dire pas assez : en dire trop serait clairement passer à côté de l’essentiel.

Alors je dirai juste qu’à l’occasion d’un changement de point de vue pratiqué avec une délicatesse toute parabolique, nous sommes amenés à nous interroger sur la pertinence de notre propre regard sur ce qui nous entoure, à savoir la cruauté d’un monde dont personne ne comprend les rouages, une sorte de cruauté qui nous dépasse tant elle est, au fond, inconsciente.

C’est drôle comme la lecture est affaire de circonstances. Comme ces temps-ci je passe le plus clair de mon temps avec Kafka, je n’ai pu m’empêcher d’établir un rapprochement d’abord de titre (avec la Colonie pénitentiaire évidemment) puis avec le Château – l’obstination de l’évasion chez Eisenover, le héros de la Colonie migratoire, est la symétrique inverse des efforts de K pour entrer dans le Château –, et enfin au Terrier – mais dire pourquoi serait peut-être, encore une fois, en dire trop. Et pourtant ce n’est peut-être que de mon point de vue, gauchi par la fréquentation quotidienne de Kafka, que ce rapprochement est pertinent.



mercredi 15 mai 2024

court toujours (260)

C’est très sérieusement que je vous demande de ne pas attendre de moi que je parle sérieusement.




mardi 14 mai 2024

court toujours (259)

Pourquoi dis-tu ça ? Tu le penses vraiment ?

Non, précisément : je le dis pour le penser.




lundi 13 mai 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 26

La voiture principale de Messerschmied était encore au garage, aussi celui-ci avait-il décidé, pour une fois que le temps le permettait, de se rendre à l’invitation de Monsieur Witz, chez Brunnen, dans sa décapotable rouge. Il prendrait juste la précaution de se garer à distance des établissements Brunnen dont le voisinage était décidément trop peu sûr. Il était donc en train de chercher une place quand il entendit un coup de frein brutal à sa gauche. Messerschmied eut juste le temps de se rendre compte qu’un véhicule d’un autre âge était parvenu à s’arrêter de justesse : comme dans un rêve, une masse sombre qui s’avéra être un immense carton se détacha du toit dudit véhicule, prit son envol au dessus de la décapotable et, ses attaches ayant cédé, déversa son contenu hétéroclite sur la personne de Messerschmied, lequel disparut littéralement sous l’amas.

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dimanche 12 mai 2024

Abécédaire du dimanche (aquoiboniste)

Alphabet bien court. D’éphémères fables grossissent hâtivement. Il juge kitsch le moment nécessaire où pièce qui rouille se trouve utile vraiment, Wu Xialin y zappe.


Abécédaires meurtrier, touristique, culinaire, guerrier, floral, zoologique.

vendredi 10 mai 2024

Pas de message

« … C’est l’image, la métaphore qui alimente cette circulation. Nulle part Kafka ne se contente d’illustrer un quelconque "message" – sans même parler de thèses métaphysiques –, il n’est aucun autre écrivain chez qui cette incompréhension du processus créatif induise davantage en erreur. Kafka ne cherche pas l’image : il la suit, et il aime mieux passer côté de son sujet que de désobéir à la logique de son image. Certains de ses premiers lecteurs s’en étaient déjà rendus compte. "Ne vous demandez pas ce que ça veut dire, avertissait par exemple Tucholsky dans la première recension de la Colonie pénitentiaire. Ça ne veut strictement rien dire. Ça ne signifie strictement rien." » écrit Reiner Stach à la page 547 de son volume 2, Kafka, le Temps de la connaissance ; et si je le recopie ici, c’est parce que bien ainsi, depuis mon adolescence, que je lis Kafka (et Beckett aussi) – et que j’aimerais qu’on me lise.



mardi 7 mai 2024

J’avoue : j’ai pivoté (ou « j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes » ad libitum)

Bernard Pivot est mort. Un billet ? Allez : oui. Parce que Bernard Pivot fait partie de ces sujets à travers lesquels je me vois double. Oui : j’ai regardé Apostrophes. Presque tous les vendredis soirs, surtout à la fin des années soixante-dix et au début des années 80. C’était un rendez-vous qui me procurait du plaisir, depuis la musique du générique jusqu’à l’entretien avec Claude-Jean Philippe (là aussi, musique et générique ont compté), suivi du film du Ciné-club, rarement manqué lui aussi. Et puis, c’était une émission littéraire, et je ne rêvais que de devenir écrivain. J’étais adolescent, quoi. Bien sûr que oui : je rêvais d’être invité à Apostrophes. Et puis j’ai été de moins en moins disponible le vendredi soir, et accessoirement je suis devenu de moins en moins adolescent : j’ai moins regardé, j’ai moins rêvé d’Apostrophes. Quand j’ai publié mon premier roman, aux éditions du Seuil, je n’espérais plus grand-chose. D’ailleurs c’est à cette rentrée littéraire-là que Bouillon de culture (que je n’ai jamais suivi) a été remplacé par Campus, dont j’ai regardé le premier numéro ; Nelly Arcan y présentait Putain, l’autre premier roman au Seuil lors de cette rentrée-là (celui sur lequel le Seuil comptait vraiment). L’émission ne m’a guère marqué, sauf une phrase de Guillaume Durand, tellement mémorable que je la cite dans Mon petit DIRELICON : « N’oublions pas que nous sommes dans une émission littéraire. » La conviction que la télévision n’est vraiment pas l’endroit où parler littérature a continué à grandir en moi. Il m’est arrivé de visionner, de temps en temps, d’anciens passages d’Apostrophes. Gros malaise (bien sûr la complaisance face à Gabriel Matzneff, ou le contresens sur Lolita face à Nabokov, mais pas seulement). Je ne regrette pas de n’avoir pas été invité (surtout si ça avait été pour Une affaire de regard, qui se prête bien au contresens). Bref, la littérature, franchement, ça n’était pas vraiment le sujet, sur le plateau d’Apostrophes. Et pourtant, j’ai aimé cette émission. Un jeune moi-même a aimé cette émission. Elle a sans doute contribué à des rêves de gloire qui n’ont pas non plus grand-chose à voir avec la littérature, mais elle a fait partie des vents qui soufflaient sur ma flamme. Alors aujourd’hui, comme ça m’arrive souvent, une chose et son contraire sont vraies à la fois : j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes, j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes, j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes, j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes, j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes



lundi 6 mai 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 25

Était-ce de la provocation ? Messerschmied retourna chez Brunnen. Avait-il pris rendez-vous ? Monsieur Witz n’était pas dans son bureau ; le bureau adjacent aussi était vide. Il y avait là un fauteuil, d’un goût douteux, comme tout ce qui concernait cette société Brunnen. Chez Brunnen, Messerschmied, habituellement plein de certitudes, n’était plus sûr de rien. Il s’assit dans le fauteuil qui, non content d’être laid, était aussi très inconfortable. Comment pouvait-on installer des meubles pareils dans un bureau ? Et tandis que Messerschmied sentait que, comme souvent, il s’emportait dans des supputations énervées, la gravité s’inversa. Il décolla de son siège, littéralement éjecté, et s’écrasa le crâne contre le plafond de la pièce.

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dimanche 5 mai 2024

Abécédaire du dimanche (meurtrier)

Allez : bute Charles ! Descends Eugène ! Flingue Georges, Henri ! Immole Jasper ! Kill Larry ! Liquide Max ! Noie Orson ! Poignarde Quentin ! Refroidis, saigne, trucide Ulrich, Victor, Walter, Xavier, Youssef ! ZIGOUILLE !



jeudi 2 mai 2024

court toujours (258)

Tout le monde pense à peu près la même chose en même temps ; alors, forcément, la chose devient beaucoup moins importante qu’elle devrait l’être.




mercredi 1 mai 2024

Il aime quand c’est inquiétant, le lecteur…

En attendant une prochaine lecture publique, un petit extrait de Sans son stylo.



mardi 30 avril 2024

Olivier Hervy à cheval sur le dos rond du bison

Olivier Hervy est aphoriste, et s’en revendique. Le dos rond du bison doit être mon quatrième Hervy (cliquez plutôt ; et comprenez « Hervy » comme un synonyme métonymique de « recueil d’aphorismes, du nom d’un auteur qui en a commis quantité d’autres), publié cette fois chez un éditeur spécialiste du genre, Cactus inébranlable. Il y a un sous-titre à ce dos rond du bison : « Dans les coulisses de l’aphorisme (3) ». Car l’aphorisme et l’aphoriste lui-même sont sujet d’aphorismes, ce qui fait de ce livre un ouvrage non seulement aphoristique mais proprement méta-aphoristique (à ne pas confondre avec quelque tendance métaphoriste ; Hervy n’est pas un hérétique). Ainsi arrive-t-il souvent qu’un aphorisme, par exemple

« Où écrire qu’il manque un livre d’or ? » (p. 51)

soit accompagné d’un méta-aphorisme, soit

« Le livre d’or est un recueil d’aphorismes, lui aussi. »

dont les italiques signalent le caractère méta.

Pour le plaisir, deux de mes préférés :

« La montagne est un paysage qui cache le paysage. »

« Tout littéraire lui aussi, l’escabeau de la bibliothèque est une métaphore. Tous les livres ne sont pas à notre portée. »



lundi 29 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 24

Où allait Messerschmied ? Se rendait-il chez Brunnen, la société avec laquelle il était question, il avait été question qu’il signe un contrat ? Quoi qu’il en fût et où qu’il allât, il n’y arriva pas et ne signa aucun contrat ce jour-là : alors qu’il était au volant de sa voiture et qu’il traversait un carrefour, un choc, latéral et violent, renversa son véhicule, dont il ne put s’extraire qu’en l’escaladant de l’intérieur et en sortant par la portière du passager. Il avait été percuté par une espèce d’attraction de foire, un truc tout en fonte qui, dans un monde parfait, n’aurait jamais dû rouler sur la chaussée.

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dimanche 28 avril 2024

Abécédaire du dimanche (touristique)

Aux Bahamas caribéennes d’Eleuthera, fuis Goussainville, Herblay, Ivry ! Je kiffe les Maldives, Nouvelles orientales papouasiennes qui règnent sous tropiques ; un voyageur wallisien xénophile y zoukera.


vendredi 26 avril 2024

court toujours (257)

Sous prétexte qu’il avait écrit un livre, il s’en croyait lauteur.




Demain samedi à 11h, je ferai une petite lecture à la librairie du Surmelin (2 rue du Surmelin, dans le 20e arrondissement), avec mon stylo, et même sans.

mercredi 24 avril 2024

croisements de vies

Au début des années 80, sur le conseil de Danielle Auby, mon professeur de français, je découvre Kafka. Je lis à peu près tout. Je commence par le recueil disponible en Folio rassemblé autour de La Muraille de Chine. Le texte qui me marque le plus, au point qu’aujourd’hui, alors que je ne l’ai pas encore relu (c’est pour demain ou après-demain), je m’en souviens encore bien, c’est Recherches d’un chien.

Une dizaine d’années plus tard, je reprends le théâtre en amateur, au théâtre-école de Pantin, sous la direction d’Agnès Delume. L’art de la mise en scène avec presque rien. J’ai la chance de jouer des textes extraordinaires : Scènes de la vie conjugale, la Mouette, le Tartuffe, Peer Gynt, l’Opéra de quat’sous. Souvent, la musique est composée par Vojtech Saudek, le compagnon d’Agnès. C’est un vrai musicien. Je me rappelle son piano, qui prend toute la place dans leur séjour. C’est fou comme la pratique d’un art peut prendre de la place dans une vie. Celle de Vojtech, hélas, s’arrête trop tôt, en 2003 ; il a cinquante-deux ans.

Entre temps, en 1993, je découvre Prague. En écrivant cette phrase, je revois la ruelle d’Or, où Kafka écrivit, notamment, la Muraille de Chine.

Plus récemment, je reviens progressivement à Kafka, d’abord pour relire le Château, et vérifier que Pas Liev n’en est pas qu’une pâle copie. Puis le Terrier, juste pour le plaisir. L’an dernier paraît en France le premier tome de la biographie de Kafka par Reiner Stach. Je m’y plonge, et l’interromps souvent – notamment pour relire le Verdict, la Métamorphose, la Colonie pénitentiaire, Chacals et Arabes, Un croisement, Rapport pour une académie, Le Coup à la porte du domaine, la Muraille de Chine… Entre temps je suis passé au second tome de la biographie de Stach : Kafka, le Temps de la connaissance. Je compte relire Recherches d’un chien, mais j’attends que la vie de Kafka m’y mène – c’est l’un de ses derniers textes. Pour le moment, il est à la ruelle d’Or ; c’est Ottla, sa petite sœur, qui lui offre ce havre. Ottla qui, des années plus tard, fera partie de toutes ces personnes qu’on a assassinées à Auschwitz.

Il y a une dizaine de jours, je reçois un message d’Agnès, qui me parle de mon Stylo – j’aime qu’elle ait aimé – et m’annonce que le centre tchèque organise un concert-hommage à Vojtech. C’était dimanche dernier. Au programme, des pièces et variations pour piano, son Quatuor n°2, une Elégie, et enfin une réalisation pour violon et dispositif électronique : Recherches d’un chien, d’après un conte de Kafka.

J’apprends que Vojtech est le petit-fils d’Ottla.






mardi 23 avril 2024

court toujours (256)

Tu veux manger de la verdure ? Plante un saladier.




lundi 22 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 23

Après tout, ce n’était pas pour signer le contrat, que Monsieur Witz avait invité Messerschmied : c’était pour visiter un chantier. Visiter le chantier de la maison Brunnen n’engageait à rien. Et puis, pour le contrat, Messerschmied était libre de changer d’avis. Messerschmied était libre, et libre d’aller où il voulait. D’ailleurs, Messerschmied aimait bien les chantiers. Il s’y sentait à l’aise. Voir les choses en train de se faire, avant qu’elles n’existent vraiment ; il y avait là quelque chose de presque émouvant. D’ailleurs il était impressionnant, ce chantier de la maison Brunnen. Messerschmied avait craint un instant d’être à nouveau un objet possible de dérision lorsque Monsieur Witz avait insisté pour qu’il mît un casque, mais comme lui-même s’en était coiffé, et que Messerschmied avait encore en mémoire ses mésaventures récentes liées aux lois de la gravité, il se résolut à porter le casque que lui tendait Monsieur Witz – d’ailleurs tout le monde en portait – et n’y pensa plus. Monsieur Witz se gardait bien de parler du contrat, mais tout ce que voyait Messerschmied et qui attestait de la solidité de la maison Brunnen finit par le convaincre que, décidément, ce serait trop dommage de ne pas signer ce contrat. Il s’en ouvrit à Monsieur Witz au moment de le saluer, et au moment de le saluer, juste le temps de le saluer, il retira son casque.

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dimanche 21 avril 2024

Abécédaire du dimanche (culinaire)

Assembler bien copieusement deux échalotes farcies, gratiner, hacher, incorporer juteux kaki, le mixer nonchalamment, ôter pépins qui resteraient, saler tout uniment vanille, wasabi, xérès, yoghourt, za’atar.


(Abécédaire guerrier

Abécédaire floral

Abécédaire zoologique)

Samedi prochain (le 27) à 11h, je ferai une petite lecture à la librairie du Surmelin (2 rue du Surmelin, dans le 20e arrondissement), avec mon stylo, et même sans. Ce sera aussi l'occasion de prendre quelques Nouvelles Notes et même un peu de Biotope pour votre anatomie d'homme domestique.



mercredi 17 avril 2024

court toujours (255)

Il a si bien argumenté qu’il a réussi à me convaincre qu’il avait tort.




mardi 16 avril 2024

Albarracin joue à Shifumi

La pierre

émousse

les ciseaux


Dans la neige pourtant

le papier les ciseaux et la pierre

font chose commune





On rate d’un cheveu

parce que précisément

on oublie que le cheveu


est ce avec quoi

on réussirait

à tout lier




C’est extrait du très beau Shifumi de Laurent Albarracin, tout en poèmes de deux tercets, publié aux éditions Pierre Mainard.





lundi 15 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 22

Lorsqu’il retourna chez Brunnen, Messerschmied était sur la défensive. Signerait-il le contrat ? En avait-il seulement encore envie ? Monsieur Witz avait beau déployer toute son amabilité habituelle, Messerschmied ne parvenait pas à se dérider. Son humeur était exécrable. Il se demandait même pourquoi il était venu. La seule réponse à cette question, il la connaissait, il la connaissait bien, il la connaissait trop bien. Il était là pour signer le contrat. Alors il ouvrit sa serviette et sortit le contrat qui, avant même qu’il ne le pose sur le bureau, dans les mains même de Messerschmied, spontanément s’enflamma.

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dimanche 14 avril 2024

Abécédaire du dimanche (guerrier)

Achille bataillant contre des ennemis furieux ! Gilgamesh, Hercule, invincibles jouteurs ! K.O, le Minotaure ! Namor, ô prince qui règne sur tout un vieux waterland ! X-men ! Yvonne Ziegler !


(Abécédaire floral

Abécédaire zoologique)

mercredi 10 avril 2024

Festival du Stylo de Paris

Je serai samedi au Festival du Livre de Paris, sur le stand des éditions DO, en A17, de 15h à 17h, avec mon stylo, ou peut-être sans.



mardi 9 avril 2024

court toujours (254)

Ne me demandez pas le top de mes dix meilleurs livres : j’en ai déjà commis dix-huit et je ne voudrais pas faire de jaloux.


à propos de stylo

Martine Roffinella me fait le plaisir de consacrer un article de son blog Sous le pavé la plume à Sans son stylo / Avec mon stylo et m’a invité à répondre à quelques questions, comme si j’en étais l’auteur, puisqu’il paraît en effet que je le suis. C’est à lire ici.



lundi 8 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 21

Monsieur Witz arborait une mine réjouie, et Messerschmied lui aussi ne pouvait s’empêcher d’arborer la même mine réjouie : ils venaient, tous les deux, dans les locaux de Brunnen, de signer le contrat. Il y avait bien de quoi se réjouir en effet : c’en était fini des imprévus catastrophiques, des contretemps funestes dont la série avait longtemps défié les lois des probabilités. Messerschmied était donc soulagé, et sans doute Monsieur Witz l’était-il aussi. Monsieur Witz eut l’idée d’immortaliser l’événement en photographiant Mersserschmied. Ce serait comme un trophée – telle fut la pensée qui traversa Messerschmied : un trophée. Sur la photo que lui présenta Monsieur Witz, c’étaient des bois de cerf qu’arborait Messerschmied. C’est alors qu’il comprit enfin : on se moquait de lui ; et, de rage, il déchira le contrat qu’il avait eu tant de mal et finalement tant de plaisir à signer.

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dimanche 7 avril 2024

Abécédaire du dimanche (floral)

Ah bouquet coquet d’edelweiss fleuris ! Gros hortensias ! Iris jolis ! Kolkwitzia le magnifique ! Nérines ! Ornithogale pyramidale qui redresse son thyrse ! (Une véronique wallonne xérophile y zwanze.)



(Et l'abécédaire de dimanche dernier.)

vendredi 5 avril 2024

court toujours (253)

« La présence d’anodontes est un signe favorable. »





mercredi 3 avril 2024

J'ai des égards pour vous, avec mon stylo.

 Un autre extrait d'Avec mon stylo, juste pour le plaisir de la lecture.



mardi 2 avril 2024

Guy Goffette, le nom de l’auteur et moi

Guy Goffette nous a quittés. Je ne l’ai rencontré qu’une fois, il y a dix ans ; nous étions invités (avec Pierre Jourde) à une émission d’Augustin Trapenard sur France Culture où il était question de réécriture. J’avais après l’émission commis le billet qui suit, que j’avais oublié mais qui annonce à sa manière l’effacement du nom de l’auteur de mon récent Stylo.


L’auteur en question (mardi 17 juin 2014)


L’artiste est-il maître de son œuvre ? demandait-on hier matin en philo aux élèves de Terminale scientifique. Nul doute que le Carnet d’or de samedi était à l’origine du sujet. J’y reviens encore une fois à propos de Mariana, Portugaise, le livre de Guy Goffette, réédité lui aussi mais de dix ans plus ancien que le mien puisque paru pour la première fois en 1991 aux éditions Le Temps qu’il fait – saluons au passage le beau travail de cet éditeur.

Un extrait pour commencer :

 

O grand cinéma de la componction.

Petite Marie-Madeleine au bordel battant sa coulpe ô tendre lupin des lupanars baisant de larmes et chaude salive les pieds du christ en bois, répandant l’avaricieux parfum du capitaine Judas, la chevelure de feu épongeant la dalle avant que tombent les douces paroles du pardon, les douze coups de trahison. C’est matines qu’on entend hélas, et c’est le glas dans la vallée, à Mértola ; c’est la relève qui sonne là-bas sur la mer : la Campagne du Portugal s’achève. Au jardin, les oliviers s’éveillent. Vide est le champ du potier, vides les yeux de Mariana, l’encrier vide et l’avenir fermé.

 

Guy GoffetteMariana, Portugaise, Gallimard, p. 52.

 

Ni glose ni paragraphe des Lettres de la religieuse portugaise sommes-nous prévenus, Mariana, Portugaise est une sorte de palimpseste amoureux des lettres de l’amoureuse abandonnée, poème d’amour en prose qui reprend la structure pentagrammatique du best-seller naguère anonyme, dont du coup j’ai voulu relire les cinq lettres : mince, impossible de mettre la main dessus. D’un saut à la librairie j’en fais l’acquisition, sans trop me poser la question de l’édition ; ça sera Garnier-Flammarion. Et là, voici que le nom de Guilleragues (je m’avise à l’instant que je n’avais jamais vraiment pris la peine de le retenir) me saute aux yeux d’une manière désagréable : il est écrit en plus gros caractères que le titre. C’est une chose qui me choque toujours comme une incongruité : rendre le nom de l’auteur plus visible que le titre. C’est d’autant plus frappant quand le nom de l’auteur est bien moins connu que le livre lui-même. J’avais bien senti à ma lecture de Mariana, Portugaise et des commentaires dont Guy Goffette accompagne le texte de sa nouvelle édition que l’attribution tardive (on en parlait encore quand j’étais étudiant) des Lettres portugaises à Guilleragues lui déplaît. J’avais l’impression que pour ma part elle me laissait indifférent. Peut-être pas tant que ça. Enfin, ça n’est peut-être pas tant Guilleragues lui-même ; il faut bien après tout qu’un texte ait un auteur, et l’on sait bien que celui-ci ressemble rarement à la voix qu’il fait résonner dans son œuvre, mais tout de même : lorsque celui-ci a le bon goût de s’effacer lors de la publication – car c’est bien intentionnellement que les Lettres portugaises sont d’abord parues sans nom d’auteur – n’est-ce pas un peu trahir le texte que de lui coller ainsi le nom de ce « courtisan-diplomate gascon », ainsi que le résume Guy Goffette ? On comprend qu’il soit importuné : ce nom de Guilleragues sur la couverture est un inutile tue-l’amour entre Mariana et son lecteur – car Guy Goffette, à n’en pas douter, est amoureux.



lundi 1 avril 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 20

Bien sûr que oui : Messerschmied retourna tout de même chez Brunnen. Messerschmied ne pouvait s’empêcher de retourner chez Brunnen. Il avait peur, et il trouvait cette peur ridicule, car cette peur était ridicule ; tout était ridicule dans cette affaire, alors Messerschmied ne pouvait s’empêcher de retourner chez Brunnen. Il avait surtout peur de la chute d’un corps, bien sûr, car c’est à la mort qu’il avait échappé de peu la dernière fois. Il avait peur de la chute d’un corps mais cette peur était ridicule, aussi la bravait-il. Brave ou bravache, Messerschmied ne se posait pas la question. Il devait surmonter la peur de cette chute d’un corps. Après tout, il avait son chapeau, blagua-t-il intérieurement en sortant de sa voiture, même si celui-ci ne lui aurait été d’aucun secours la dernière fois. Et c’est sur son chapeau cette fois que chut le corps attendu – ce qui ne l’était pas, attendu, c’est que ce corps était celui d’un poisson, un merlan peut-être bien, un merlan frit, tout chaud et encore fumant.

299 ?



dimanche 31 mars 2024

Abécédaire du dimanche (zoologique)

À barricader catégoriquement : douze éléphants furieusement gaffeurs, huit irascibles jaguars kilotonniques lobotomisés, mille najas occasionnellement pacifiques, quarante rhinocéros sourcilleux, treize urubus, vingt wapitis, x yacks zinzins.




samedi 30 mars 2024

En relisant la Métamorphose

Tiens je viens de relire la Métamorphose, forcément. C’est comme la première fois.

En la relisant, je pensais à ce que peut-être, je dois à Kafka, qui n’est peut-être que ce qui m’a toujours fasciné (chez lui notamment, mais ailleurs aussi ; voici que la pensée d’Epépé, de Ferenc Karinthy, me traverse ; il y en aurait d’autres bien sûr) et qui m’a toujours animé à l’instant d’écrire : l’extrême attention portée sur quelque chose, sous un angle bien choisi, avec un verre suffisamment grossissant, pour que tous nous voyons clairement ce qu’il y a à voir.

J’ai déjà relu le Château, le Terrier, le Verdict, la Colonie pénitentiaire… Je crois bien que je vais tout relire.



(Ma métamorphose personnelle)

vendredi 29 mars 2024

court toujours (252)

Il se demandait ce qu’il pouvait bien faire de ce ciel gris. Mais c’était sans doute une mauvaise question.




jeudi 28 mars 2024

Entendre Mémoires des failles

Pour les éditions de l’Attente, un nouveau petit enregistrement de Mémoires des failles, à écouter sur le site de l’éditeur en cliquant ici.


 

mercredi 27 mars 2024

Construction d’un igloo avec Pascale Petit

Pascale Petit sait faire plein de choses et aime à nous en faire profiter. Elle sait même construire un igloo, comme en témoigne son tout nouveau livre paru aux éditions LansKine, inspiré de notre pratique des tutoriels de toute sorte, qu’elle détourne et décale pour votre plaisir et le mien, puisque je vous en lis un extrait, celui qui donne son titre au recueil : Construction d’un igloo.




mardi 26 mars 2024

court toujours (251)

C’est fou le nombre de cookies qu’on te demande d’accepter quand tu surfes sur Internet. Pas étonnant que tu prennes du poids malgré toutes ces heures de sport !




lundi 25 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 19

Il était arrivé. Il avait trouvé une place juste devant les locaux de Brunnen. Il avait fait son créneau, il s’était garé. Il était légèrement en avance, comme d’habitude, alors il prenait son temps ; il restait assis au volant de sa voiture. C’était un coupé sport qu’il venait de s’offrir – Messerschmied avait un faible pour les belles voitures –, et il n’était pas mécontent à l’idée d’entendre les compliments que Monsieur Witz, avec son obséquiosité habituelle, ne manquerait pas de lui faire à l’occasion de cette acquisition. Quant au contrat, eh bien, on verrait bien. La vie ne se résumait pas à signer des contrats. Messerschmied était sur le point de sortir enfin de son véhicule quand il entendit un bruit terrible, un choc énorme au-dessus lui ; un instant il eut l’impression que c’étaient les os de son crâne même qui venaient d’être écrasés par la chute d’un corps, un corps dense et dur. Mais non : ce n’étaient pas les os de son crâne.

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dimanche 24 mars 2024

court toujours (250)

« Le lecteur a-t-il besoin de ce trotte-bébé ? »

(Telle est la question que, la plupart du temps, le romancier ferait bien de se poser.)




mardi 19 mars 2024

Ils sont aux anges.

Ils sont aux anges. Avec mon stylo et Sans son stylo, à moins que ce ne soient Sans son stylo et Avec mon stylo. Guillaume Contré leur consacre toute une page, une page du Matricule qui aurait pu rester immaculée si l’encre n’avait pas coulé, et c’est peut dire qu’elle coule dans ce livre. Me voici donc aux anges car mon nom, pourtant absent des deux couvertures du livre(s), se retrouve, en belle compagnie, sur celle dudit Matricule. Lecture :



lundi 18 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 18

À chaque fois que, chez Brunnen, Messerschmied avait pris l’ascenseur pour se rendre dans le bureau de Monsieur Witz, il ne s’était rien passé. C’était pourtant vrai : à chaque fois, l’ascenseur avait fonctionné normalement. C’est sans doute pourquoi, dans ce que Messerschmied considérait à présent comme son inconscience – il préféra d’abord se dire « inconscience » pour n’avoir pas à exprimer explicitement son sentiment, car au bout d’un moment, il finit par admettre que de sa part, c’était moins de l’inconscience que de l’inconséquence, ou pire, une sorte de folie, une forme de pulsion de mort – c’est sans doute pourquoi, sans même se poser de questions (mais comment, comment avait-il pu agir de la sorte, sans même se poser de questions, sans prendre la moindre précaution élémentaire) ; c’est sans doute pourquoi il avait continué à prendre l’ascenseur, comme si lui, Messerschmied, chez Brunnen, il pouvait prétendre prendre l’ascenseur en toute impunité. Ce fut donc ce jour-là que Messerschmied dut payer pour toute cette inconscience, cette inconséquence, cette folie : il resta durant une heure et dix minutes coincé dans l’ascenseur, une heure et dix minutes dont il consacra les dernières à détruire, une bonne fois pour toute, les raisons de sa présence chez Brunnen.

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dimanche 17 mars 2024

court toujours (249)

Attends donc que la nuit tombe ou que le brouillard se lève, tu verras comme c’est beau quand on n’y voit plus rien.