lundi 6 avril 2020

je mourrai deux fois ou alors pas du tout


Bizarre qu’August se soit pas encore montré, dit la Tante. C’est parce qu’il a plus qu’un bras, dit le Luis, il dort encore, dit l’Otto, il se ressert un peu de bière, l’est né fatigué çui-là. Ce serait pourtant son anniversaire aujourd’hui, dit la Tante. Ça nous arrive à tous une fois l’an, dit la Silvia. Comment quelqu’un né en janvier peut s’appeler August, ça je comprends pas, dit le Luis, il secoue la tête. Allez remets-moi un piccolo. Il se frotte la bouche du dos de la main et sort les cigares Rössli de la poche de sa veste de ski bleue avec le bouquetin sur la manche. Peut-être qu’il mourra en août, dit l’Alexi. L’a bien raison notre friseur pour une fois, dit la Silvia, c’est quand qu’on meurt qu’est important, pas quand on est né, elle souffle la fumée de sa cigarette, verse du schnaps dans son café-goutte et le vide cul sec, ce qui compte c’est là où la note s’arrête, pas vrai, c’est dans le néant que réside le sortilège, ou bien c’est pas vrai. Je suis né à l’heure qui n’existe pas, dit l’Otto, il regarde la Tante, elle va lui chercher une nouvelle bouteille de bière, revualà l’autre qui nous remet ça, dit l’Alexi, attention les motos, les bobards qu’on va pas entendre. La Tante pose une bouteille devant l’Otto et le sert. Elle apporte un piccolo au Luis. Oh ça tu peux faire l’étonné mais c’est vrai, je suis né exactement au moment du changement d’heure, dit l’Otto, ça existait pas encore trouffion, dit l’Alexi, ah, on te tient par les cornes hein, Barbarossa. Il rit, regarde la Silvia. Il peut rire tranquille le friseur, c’est Otto le roi au bonnet d’âne qui le dit, dit l’Otto, il lève le doigt, mais stop avant qu’il meure de rire notre grand barbier, qu’il sache que j’étais en Autriche quand je suis venu au monde, eh bien t’aurais pu y rester, dit le Luis, mp mp, il lève son piccolo, salute, et boit cul sec. Né à l’heure qui n’existe pas, dit l’Otto, deux fois je suis né ou alors pas du tout, et de conséquent je mourrai deux fois ou alors pas du tout. L’Alexi secoue la tête et balaie l’air de la main.

Arno Camenisch, Ustrinkata, Quidam 2020, traduit de l’allemand (Suisse) par Camille Luscher.

C’est comme ça qu’on boit et qu’on cause chez la Tante, à l’Helvezia. C’est le dernier soir, après le bistrot il ferme. Tu viens prendre un verre ? Le livre vient juste de sortir, juste avant le confinement. Ce serai bête de ne pas y goûter.




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