vendredi 19 février 2016

« Garder »



Il y a longtemps, lui semble-t-il, qu’il n’a pas réellement rencontré quelqu’un, une personne qui éveillerait plus qu’une simple curiosité, plus qu’une sympathie spontanée.

Nathan dit je ne sais pas si je pourrai, si j’en suis encore capable. Ici et dans tous les musées où j’ai travaillé, je retourne à la source. L’avenir m’oublie. Je me tiens sur la ligne. Je vis de peu. Vous ne pouvez pas attendre, ce ne serait pas juste.

Elle dit vous êtes un drôle de gardien. J’ai une petite fille, enfin, petite, elle a neuf ans. Son père m’a quitté. Il est producteur de dessins animés ici. En République Tchèque et dans les pays de l’Est, c’est très prisé vous savez, depuis longtemps. Il anime des festivals aussi. Je l’aidais. Je l’aimais. Mais il paraît que je suis insupportable. Vous en jugerez.

Ils marchent le long de la Vltava, rive gauche, sous la pluie. Ils bifurquent vers Malotranske Namesti. Elle dit il faut que vous me laissiez car j’attends quelqu’un, et il n’aimerait pas nous voir ensemble, il est un peu jaloux.

Comme Nathan s’éloigne d’un pas tranquille, elle le rattrape soudain et l’embrasse. Elle sent la vanille. Elle caresse sa joue mal rasée avant de repartir.



Stéphane Padovani, Le bleu du ciel est déjà en eux, « Garder », Quidam éditeur, 2016, p. 133-134.



« Garder » est la neuvième et dernière nouvelle du recueil de Stéphane Padovani qui était avec moi l’invité de la librairie Texture hier soir – hier c’est un extrait de la première nouvelle, « Traduire » que j’ai eu le plaisir de lire.

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